Noémie Ceschin, infirmière à Saint-Aunès
Pourquoi avez-vous choisi d’être infirmière ?
J’ai grandi dans un petit village, Saint-Martin-de-Crau, et je n’avais pas trop d’idée de formation mais je savais que j’étais très altruiste. Pourquoi ne pas devenir sage-femme ? j’ai donc fait un an de prépa à Marseille. Mais loin de ma famille, une crise d’ado tardive, quelques mauvais choix et une vie pas très équilibrée ont fait que mon père m’a posé un ultimatum : rentrer chez les Carmélites ou rejoindre mon frère à Montpellier qui avait un bon poste. Le choix était vite fait ! Nous avons donc habité ensemble, mais j’étais encore bien rebelle et mon frère m’a dit un jour « Tu vas te bouger ! Tu aimes les gens et en prendre soin, alors pourquoi ne pas envisager des études d’infirmière ? ». Le déclic était là : en 2h25 j’avais rassemblé tous les papiers nécessaires pour présenter le concours, que j’ai réussi haut la main et hop je suis partie pour 3 ans 1/2 d’études. J’avais trouvé ma voie !!
Les études d’infirmière sont des études en alternance avec des stages. En 3ème année j’ai fait un stage en service d’hématologie (L’hématologie est la spécialité médicale s’intéressant aux éléments constituant le sang (globules rouges et blancs,plaquettes sanguines…), la lymphe et les organes les sécrétant (moelle osseuse, rate, amygdales) ainsi qu’aux maladies qui y sont liées.) auprès des greffés de la moelle osseuse.
Et là, j’apprends que ma mère souffre d’une leucémie … et que mon père développe un parkinson… impossible pour moi de quitter ce service qui allait m’apprendre tout ce que je devais savoir sur le mal qui rongeait ma maman.
J’ai fait mon stage de fin d’études dans le service d’hématologie au Mas du Rocher et …. J’y suis restée 7 ans en travaillant en collaboration avec le CHU St Eloi Centre de Greffes. Je m’occupais des soins post-greffes à J1jusqu’à leur retour au domicile, s’il avait lieu. Je partageais aussi mon planning avec le service de néphrologie où je m’occupais des dialyses péritonéales.
Puis en couple, j’ai eu deux enfants avant une séparation. Seule, il m’a fallu réfléchir à comment continuer les horaires de travail un peu fous (5h30-22h30) avec mes deux enfants…J’ai eu besoin de demander un congé sans solde qui m’a été refusé. Au même moment, j’ai vu qu’un poste d’infirmière en libéral à St-Aunès, était vacant. Ce poste me permettait d’avoir la main sur mon emploi du temps familial et d’avoir une nounou à la maison pour mes filles.
De quand date votre installation à Saint-Aunès ?
J’ai refait ma vie en retrouvant mon meilleur ami de jeunesse ! En 2015 nous avons acheté notre maison à Saint-Aunès, ce qui a considérablement allégé mes trajets. J’avais toujours ce poste en libéral, en équipe : nous sommes 3 pour un suivi optimal de la patientèle. Cela me permet une certaine liberté dans l’organisation de mon planning, et m’a demandé cependant une certaine adaptation pour les soins. En effet en milieu hospitalier, j’œuvrais (en post greffe) en milieu totalement stérile, et chez les familles, comment faire alors, sans ces conditions ? Faire des soins stériles dans un environnement qui ne l’est pas et avec souvent des poils d’animaux sur les canapés ou les lits, m’a demandé beaucoup de qualité d’adaptation ! Il faut donc toujours anticiper pour s’adapter aux situations matérielles diverses.
Qu’est-ce qui vous plait dans ce travail chez les personnes ?
C’est l’autre : entrer dans son intimité, ses émotions, LE rencontrer. Je suis très empathique, surement trop, je sais vite m’intégrer et entrer en contact avec toutes sortes de personnes, seules et de tous milieux.
Qu’est ce qui est difficile dans votre métier ?
C’est la détresse psychologique des personnes. Et c’est un métier où l’on peut se sentir très seule face aux patients mais les techniques modernes nous permettent de rester en lien avec un médecin des centres spécialisés. En effet, par le biais d’une tablette, un médecin peut donner son avis sur l’état général ou l’évolution d’une plaie, d’une escarre, voir le patient, et cela permet à l’infirmière de poser des actes avec davantage de professionnalisme. C’est très important notamment pour les patients qui ne peuvent pas se déplacer et dont les cas demandent une certaine technicité.
D’ailleurs le réseau « plaie et cicatrisation » pour les cas complexes est très disponible pour nous les libéraux.
Mais un événement va perturber cet équilibre …
Oui car j’ai attrapé la covid en janvier 2021. Cette maladie, et « le covid long » qu’elle a généré depuis, m’ont poussée à un arrêt maladie de longue durée (Heureusement un remplaçant a repris mon poste en attendant). J’ai mis ce temps à profit en que je ne prenais pas assez soin de moi, et qu’il me fallait du temps … Cette année 2021 a été difficile aussi pour d’autres aspects. J’ai perdu mon papa qui souffrait depuis 17 ans de parkinson et d’une seconde maladie neurodégénérative.
Je suis sortie du covid mais j’ai encore des symptômes neuropsychologiques et cardio-respiratoires qui me font craindre pour le futur. Suis-je encore capable d’assumer mon travail ?
Mais je ne suis pas carriériste, je suis bien dans ma peau, j’aime être très carrée et en sécurité dans mon travail, je veux faire les choses le mieux possible. Après cette réflexion « covid », je ferai surement autrement…. mais pour le moment, ma priorité est de me reconstruire.
Avez-vous une anecdote à raconter ?
J’étais à la clinique du Mas de Rocher et avais, en hémato, un patient de 60 ans environ, bel homme, qui avait une leucémie très invasive. Il entrait et revenait au service, et là on savait que les choses allaient vers la fin. Pendant un an, Il ne pouvait plus avoir de visites et vivait en milieu entièrement stérile. Un jour il nous a dit « je vais mourir, alors arrêtez tout : les masques, et toutes les protections etc… Apportez une bouteille de champagne, que l’on boive ensemble, toute l’équipe et moi ». Il rêvait aussi d’un hamburger ! Nous sommes allés lui en chercher un. Et nous avons trinqué avec lui ! Ce dont il avait besoin c’était la relation humaine ! Il est décédé un mois après ce moment-là. Nous avons enfreint l’Interdit et vécu un moment de bonheur, nous pouvions tous perdre notre diplôme mais il était très clair pour nous que la priorité n’était plus dans l’asepsie et les précautions autour de lui, que nous savions près de la fin.
Que diriez-vous à un jeune qui voudrait s’orienter vers votre profession ?
C’est un beau métier, mais il faut se protéger dans l’empathie. C’est aussi un métier où les vraies et profondes relations humaines tendent à se perdre en milieu hospitalier essentiellement où on en demande toujours plus à un personnel qui se réduit et se fatigue. Cela devient un vrai « business », où il n’y a pas beaucoup d’encouragements et peu de retour … C’est la logique de l’argent qui prime … Alors que c’est la vie des malades qui est en jeu.
L’accompagnement doit se faire jusqu’au bout, sinon on rate des choses, c’est frustrant et douloureux.
Propos recueillis par Sophie Marmonier, janvier 2022